Voici venu le 1er Mai. Nous avons le plaisir de partager avec vous à cette occasion le « Chant de la dernière Internationale » (« Lid fun letstn internatsyonal ») d’Aaron Zeitlin dans la traduction inédite de Batia Baum.
Le grand Y. L. Peretz (1852-1915) fut le premier écrivain yiddish qui, dès 1906, a mis en garde contre un combat social, qui se limiterait aux besoins matériels, en ignorant sa dimension spirituelle. Le poète mystique Aaron Zeitlin (1898-1973) s’inspire de cette même idée pour écrire en 1931 ce poème vibrant, véritable vision messianique qui élève le souffle révolutionnaire de Mai.
Ce poème fera partie du recueil de poésie d’Aaron Zeitlin que les Éditions Bibliothèque Medem publieront fin 2020 dans la traduction de Batia Baum.
Nous remercions chaleureusement Daniel Kahn et Psoy Korolenko de nous avoir permis de partager avec vous leur interprétation bilingue (yiddish-anglais) de ce texte.
Chant de la dernière Internationale / Aaron Zeitlin
Et quand tous auront et travail et satiété,
se lèvera le plus grand poète de l’équité
pour prendre la défense de l’homme blessé,
des sans yeux, sans bras, lépreux, épileptiques.
Alors le capital sera à terre, écrasé,
et mènera les masses contre le travail,
comme aujourd’hui on mène les masses contre le capital.
Et ce sera la dernière Internationale,
l’Internationale de l’homme mutilé,
des malades, des aveugles, des épileptiques,
et des poètes qui ne veulent pas travailler mais chanter,
propager des sons comme des anneaux sphériques
sur des ondes inconnues.
Écoutez ce chant de la dernière Internationale,
l’Internationale de ceux qui ne peuvent pas,
et ceux qui ne veulent pas
être attelés au travail !
Précoce est ce chant — ou peut-être pas.
Un homme viendra à la fin des temps,
un adversaire du labeur,
et soulèvera tous les réfractaires,
ceux dont l’or fin est compté pour scorie —
les non-travailleurs de la terre.
Et ainsi parlera le dernier meneur :
le travail n’est pas une fin,
le travail n’est que le chemin,
le chemin vers le jeu,
le plus libre, le plus haut devant Dieu.
Et il rassemblera des masses immenses,
et des masses immenses crieront :
« Nous voulons le bonheur,
nous voulons le bonheur,
nous voulons le bonheur !
Nous voulons retrouver, à nous, à nous, à nous,
nos yeux, nos mains, nos jambes, nos joies,
à nous le paradis perdu ! »
Et voici, une telle clameur fend les nuées et les mers,
et Dieu lui-même doit descendre
et prendre figure.
Sous un manteau brodé d’âmes et d’étoiles,
Il sort
vers les révolutionnaires,
et ouvre ses granges, ce Booz des mondes —
et tous ses biens
il les distribue à la ronde :
à l’aveugle il donne un œil de feu,
au bègue — une langue aiguisée,
au tuberculeux — des poumons florissants,
à toute femme stérile — son enfant
à tout golem — son Maharal…
Tel est le chant de la plus haute,
de la plus juste, de la dernière
Internationale.
1931